Lire Myre
27 septembre 2012 Laisser un commentaire
Lire Myre n’est pas de tout repos : on ne la lit pas comme on lirait George Sand. La vie quotidienne selon Myre n’est pas un long fleuve tranquille, même dans ce qu’elle a de plus ordinaire.
J’ai découvert les éditions Marchand de feuilles en 2010 grâce à Suzanne Myre. Un coup de foudre pour une auteure s’est transformé en coup de cœur pour une maison d’édition, étrange opération dérivée de séduction. Mais je veux surtout vous parler ici d’une auteure, plus que d’un éditeur ou même d’un livre. Vous parler d’une voix, d’une personnalité, avant tout d’une narration unique et très personnelle.
C’est d’abord dans ses nouvelles que Suzanne Myre est la plus à l’aise. Presque toute son œuvre appartient d’ailleurs à ce genre : la brièveté imposée par la nouvelle lui permet de se limiter à l’essentiel et de coucher sur papier, en un jet dense et senti, une saute d’humeur ou un jugement bien arrêté sur les absurdités imaginées par les individus les plus aberrants de la race humaine, les membres de sa communauté. Tout cela se transforme parfois en autodérision et elle se montre tout aussi intraitable envers elle qu’envers les autres.
Tournez la couverture d’un des recueils de nouvelles de Myre, mais pensez à attacher vos tuques au départ : sa manière décoiffe un peu. Adieu romantisme bucolique : un ton décapant, un humour corrosif et une bonne part d’ironie sont au rendez-vous. Tout y passe. L’auteure se paye des tirades savoureuses contre tout ce qui l’horripile, et soyez assuré que l’un de vos propres dadas sera montré du doigt en chemin : elle en a contre les « trop mignons!! » sushis, les amitiés de filles super-branchées, les cabanons de la sacro-sainte banlieue, la petitesse de sa propre poitrine, les stylistes pseudo-compétents, la chirurgie esthétique, les poètes, la figure maternelle, les liens familiaux, les prix exorbitants de la bouffe bio… Et malgré tout, une sensibilité manifeste pour les relations familiales et les amitiés véritables transcende toujours ses propos.
L’auteure a remporté le Grand Prix littéraire Radio-Canada en 2001 pour son recueil de nouvelles Mises à mort et le prix Adrienne-Choquette en 2004 pour Nouvelles d’autres mères. J’oserais de plus vous recommander Humains aigres-doux, qui vous mettra un sourire (parfois jaune) aux lèvres, du début à la fin.
Vous pourrez aussi choisir d’aborder Suzanne Myre en ouvrant Dans sa bulle, son seul roman à ce jour. Un livre où l’on entre plus finement dans l’univers lyrique de l’auteure, où les ripostes laissent tout de même la place à une histoire structurée et originale, sur les thèmes de la compassion pour les personnes âgées et de la recherche de la figure paternelle manquante. Les répliques y sont parfois cinglantes, mais le ton est plus nuancé et empreint de mansuétude. On s’attache rapidement au personnage principal, Mélisse, préposée aux bénéficiaires dans un grand hôpital de Montréal, qui elle s’attache sans peine à ses patients, même les plus rebelles.
Suzanne Myre nous avait d’ailleurs promis une suite à cet excellent premier roman, publié en 2010. J’attends cette suite tout en lisant et relisant ses nouvelles, car vous l’ai-je dis?, il faut relire Myre.
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MYRE, Suzanne, Dans sa bulle : roman, Montréal : Marchand de feuilles, 2010, ISBN 9782922944686.
MYRE, Suzanne, Humains aigres-doux : nouvelles, Montréal : Marchand de feuilles, 2004, ISBN 9782922944131.
MYRE, Suzanne, J’ai de mauvaises nouvelles pour vous : nouvelles, Montréal : Marchand de feuilles, 2001, ISBN 9782922944020.
MYRE, Suzanne, Nouvelles d’autres mères : nouvelles, Montréal : Marchand de feuilles, 2003, ISBN 9782922944099.
MYRE, Suzanne, Le peignoir : nouvelles, Montréal : Marchand de feuilles, 2005, ISBN 2922944212.