À l’ombre du gibet, dans le sud des États-Unis
13 août 2013 2 commentaires
Une des oeuvres de l’artiste Whitfield Lovell montre ce portrait d’un soldat noir américain au début des années quarante. Négligemment assis sur une chaise de bambou, élégant, dans la force de l’âge, sûr de lui, il incarne un certain idéal de masculinité « tranquille ». C’est quelqu’un qui a pris sa place dans la société.
Un spécialiste en études afro-américaines, Kevin Quashie, estime dans un article intitulé More Than You Know, The Quiet Art of Whitfield Lovell que l’attitude détachée de ce personnage équivaut à un « triomphe » sur le racisme.
Car ce soldat aurait bien pu devenir un militant enragé et correspondre ainsi à une des représentations réductrices des Noirs que s’en fait la culture populaire américaine.
Composé de onze chapitres écrits par des historiens de différentes universités, le livre Fog of war propose un bilan des connaissances actuelles sur la situation sociopolitique des Noirs américains, un peu avant, surtout pendant et un peu après la Seconde Guerre mondiale. Deux angles sont privilégiés: les stratégies mises en œuvre par des organismes de défense de leurs droits, au premier chef la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP) et les résistances des milieux politiques du Sud américain à l’extension de leurs droits.
À cette époque, l’intégration, dans l’armée américaine, n’en est qu’à ses balbutiements. L’armée est divisée selon des critères raciaux, mais certaines fissures apparaissent, ce qui suscite des réactions et des menaces à peine croyables de la classe politique et de citoyens blancs des états de Georgie, Mississippi, Alabama, Texas, Louisiane, Arkansas et Caroline du Sud. Le langage tenu est renversant: on y défend une « démocratie blanche » comme dans l’Afrique du Sud d’avant Mandela.
Des émeutes raciales, des mutineries et des lynchages ont lieu là où se concentrent les bases d’entraînement des futurs soldats, notamment au Mississippi. Le Sénat refuse d’adopter une législation interdisant ces monstruosités. Et le président Roosevelt n’appuiera pas les partisans d’une loi anti-lynchage, prétextant avec justesse que cela lui coûterait alors le soutien d’alliés intérieurs essentiels dans la lutte … contre le fascisme allemand.
Ces élites du Sud sont toutefois sans illusions. Elles détestent violemment ce que Roosevelt représente, à savoir des avancées réelles contre la ségrégation.
Par exemple, Washington interviendra, bien qu’avec un succès mitigé, afin de déverrouiller le droit de vote de 4 millions de Noirs du Sud. Il n’était plus possible de leur demander de mourir pour la démocratie tout en bloquant l’accès aux bureaux de vote.
Ces élites s’opposeront également de plus en plus au New Deal puisque son extension minait le système de caste sudiste.
Parallèlement, une nouvelle génération d’hommes politiques, incarnée par le futur président des États-Unis, Lyndon B. Johnson (Texas) et son futur vice-président Hubert Humphrey (Minnesota), se développera. Elle n’acceptera plus le racisme institutionnalisé et elle agira de façon beaucoup plus volontaire qu’auparavant.
Et des GI noirs, endurcis par le feu, renouvelleront les rangs de la NAACP et prépareront l’irrésistible avancée de la lutte pour les droits civiques des années cinquante et soixante.
Mais attention: Fog of war ne se lit pas comme un roman ou comme un bon livre d’histoire avec un grand H. Chaque affirmation, ou presque, s’appuie sur une référence, certaines phrases ont sept ou huit verbes et certains chapitres en disent davantage sur l’orientation politique de l’auteur que sur le sujet qu’il est censé développer. Ce sont là, hélas!, les inconvénients de la production universitaire.
En revanche, d’autres chapitres, bien écrits, nous familiarisent avec des résultats de recherches historiques très pertinents pour mieux comprendre la grande complexité de nos voisins Américains.
KRUSE, Kevin M. et Stephen TUCK, Fog of war: the Second World War and the civil rights movement, New York, Oxford University Press, 2012, 240 p.
QUASHIE, Kevin, « More Than You Know, The Quiet Art of Whitfield Lovell », Massachusetts Review, vol. 52, no 1, p. 57-72. Le texte de cet article se trouve dans la base de données Art full text. (Merci à Denise Paquet, bibliothécaire au niveau 1 de la Grande Bibliothèque, pour m’avoir signalé l’article et la base de données).